• Centre d’art GwinZegal
    • 2024
    • Fushikaden Issei Suda

    • Exposition
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    • 05.07.24 → 13.10.24
      Exposition
      Centre d’art GwinZegal
    • Issei Suda

      C’est dans la lumière crue et belliqueuse de l’été que baignent les scènes de rue de Fushikaden, la série la plus emblématique du photographe japonais Issei Suda. Les images sont prises à Tokyo, où il réside, mais aussi et surtout dans les provinces plus éloignées du Tohoku, Hokuriku et Kanto, dont il écume au cours des années 1970 les matsuri, fêtes populaires traditionnelles, mi-religieuses, mi-profanes. L’archipel panse les plaies de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation américaine, et fait face à une croissance foudroyante jusqu’à devenir en quelques années la seconde puissance économique mondiale. La marche est forcée et le temps compté pour saisir le quotidien d’un pays aux prises avec une crise identitaire majeure, entre tradition ancrée et hystérie de la modernité.
      Issei Suda débute sa carrière comme photographe auprès de la troupe théâtrale expérimentale Tenjo Sajiki de Shuji Terayama en 1967, avant de commencer à travailler en tant que photographe indépendant en 1971. S’il emprunte son titre énigmatique Fushikaden à la théorie du théâtre traditionnel nô, c’est bien de l’écriture cinématographique d’Hollywood ou des films d’Orson Welles que Suda, né en 1940, a été nourri.
      Les magazines de photographie à la diffusion nationale développent leur audience, aiguisent le goût pour la nouveauté et s’engouffrent dans la frénésie des images. Amateurs et professionnels rivalisent dans des prix et concours. Bien plus que les institutions − musées ou galeries − inexistantes ou précaires, c’est là, dans les revues, que s’écrit et se pense − au présent − l’histoire photographique du pays. Avant d’être un livre, Fushikaden est publié sous forme de rensai, une série de huit portfolios, dans des numéros de Camera Mainichi qui s’étalent de décembre 1975 à décembre 1977. Le succès de Suda est immédiat et l’éditeur Asahi Sonorama publie en 1978 le livre Fushikaden, avec une sélection de 100 photographies au lieu des 138 initialement choisies par Suda. C’est seulement en 2012 qu’Akio Nagasawa publiera la série entière, proposant Fushikaden dans son intégralité, 34 ans après sa première publication.
      Plusieurs mouvements d’avant-garde coexistent à cette époque, certains marqués par un engagement politique et documentaire forts, ou d’autres encore, comme celui porté par la revue Provoke, impulsant des formes photographiques plus expressives et expérimentales : le flou, le grain, l’explosion brutale des contrastes faisant transparaître la subjectivité de leurs auteurs et la difficulté de décrire les paradoxes de ce monde nouveau.
      À leurs côtés, Issei Suda, homme timide mais surtout profondément indépendant, fait figure d’électron libre et embrasse le médium photographique de manière plus classique, en apparence. Ses photographies carrées réalisées au Rolleiflex, aux cadrages précis, dépouillées d’effets graphiques évidents, montrent des scènes de rue, des portraits. Il saisit ses contemporains avec un regard radical et empreint de poésie et d’humour. Si ses photographies peuvent faire penser parfois aux surréalistes ou à la photographie humaniste, ces références occidentales peinent à caractériser la complexité de ses compositions et la culture séculaire qu’elles représentent. Le visage grimé d’un acteur de Kabuki, le corps d’une femme sur la plage, des enfants se rendant à l’école, des postures improbables ou rigides, les yeux fermés… le photographe porte une attention acérée aux détails insignifiants de la vie. Les moments qu’il choisit sont aussi les siens, comme s’ils venaient, juste après ou juste avant, saisir le pouls anormal d’une réalité instable et étrange, d’une humanité qui bégaie. Il cueille, dans l’ordinaire et la banalité, le sublime qui nous échappe.

      Exposition réalisée en partenariat avec le Centre de la photographie de Mougins et la Galerie Akio Nagasawa, Tokyo.